Paul Meyer, une vie, un regard

 

L'enfance

 

Paul Meyer enfant

Paul Meyer naît en 1920 à Limal, petite ville du Brabant wallon, d'un père d'origine alsacienne, déporté comme prisonnier politique durant la première guerre mondiale et d'une mère native du Borinage et fille d'un mineur. Dans cette ascendance se lisent les lignes de force de sa vie : l'éducation, l'immigration, l'engagement politique, l'indépendance d'esprit, les mines et le Borinage.

 

Quelques mois plus tard, le père de Paul est nommé directeur de l'école de la ville basse de Eupen. Sur place, les Meyer sont perçus comme des étrangers, les occupants d'un territoire vaincu et fraîchement annexé. Paul fait ainsi très tôt l'expérience de la condition d'immigré mais aussi de l'injustice et de la violence qui règnent dans les rapports sociaux. C'est aussi le temps de belles amitiés avec les « gamins des rues ».

 

Le sentiment d'être un « étranger dans sa propre patrie » habitera longtemps Paul Meyer. A Verviers puis à Bruxelles, où il poursuit ses études, il ne trouve d'amitié durable que parmi les communistes. Le refus de l'autoritarisme et de l'injustice sous toutes leurs formes le poussent à s'engager, à seize ans, aux côtés des anarchistes dans la guerre d'Espagne puis, de retour au pays, dans la Résistance aux côtés des communistes. « C'est au cours de mes différents emprisonnements que je saisis vraiment le sens de la haine que nous avaient témoigné les habitants d'Eupen et je leur donnais raison » confiera t-il plus tard.

 

 

Le théâtre

 

Paul Meyer - Petit Théâtre

A cette époque Meyer suit les cours de théâtre et d'architecture à l'Institut de La Cambre à Bruxelles (1938-1942). Il est profondément influencé par la personnalité de son professeur Herman Teirlinck et par les pièces de Bertold Brecht, qu'il mettra en scène à plusieurs reprises. Ses futurs films en porteront la marque, de même que le « réalisme magique », « une réalité rêvée différente de la réalité quotidienne » qu'il expérimentera au Petit théâtre du Palais des Beaux-Arts (1945-1947).

L'influence de la culture flamande est alors prégnante, tant par les troupes que Meyer fréquente (Toneeljeugd, Trekkende Komedianten) que dans sa vie privée : il épouse Mieke, une comédienne du Théâtre prolétarien, fille de l'écrivain néerlandophone Maurice Roelants. Mêler vie de couple et militance va cependant s'avérer périlleux : « Nous eûmes deux enfants que nous élevions mal, difficilement, par manque de temps, par manque d'argent et parce que le militanat collectif nous masquait le devoir individuel » écrira t-il.

 

Trop indépendant dans un parti « a-culturel », Meyer est exclu du Parti communiste en 1954. Meyer quitte les planches pour l'image.

 

Un détour par le cinéma

 

Un camarade de théâtre l'engage à la N.I.R. comme cameraman pour tourner les scènes extérieures des dramatiques. Meyer, qui n'a jamais touché une caméra de sa vie, se fait conseiller par Willy Kurant qui l'épaulera aussi pour son premier documentaire : Abdij ter kameren (L'abbaye de la Cambre) (1955).

 

 Paul Meyer - Klinkaart tournage

 

Meyer se voit ensuite confier l'adaptation d'une nouvelle de Piet Van Aken décrivant le premier jour de travail d'une jeune fille dans une briqueterie. Klinkaart (1956), qui baigne dans un climat de violence notamment sexuelle, fait scandale dans les festivals. Censuré lors de son passage à la B.R.T., le film indispose aussi les syndicats et le parti communiste parce qu'il s'arrête « aux faits, au constat, sans aller jusqu'au prêche, aux directives de pensée que je me suis toujours interdits » note Meyer.

 

 

 

Il réalise ensuite plusieurs documentaires dont Onze Lieve Vrouw van Lombeek (Le retable de Notre-Dame de Lombeek) dont les belles images raconte l'histoire a-religieuse, profondément humaine, de Marie, et Gedenkboek voor Egmont (Stèle pour Egmont), une ode à la liberté.

 

Les difficultés avec les autorités reprennent avec Déjà s'envole la fleur maigre (1959). Plutôt que de décrire l'adaptation réussie des enfants de travailleurs étrangers à la vie belge, Meyer choisit de suggérer la réalité infiniment plus nuancée d'une région en déperdition économique. En s'en tenant « à l'exposé des faits dans leurs extraordinaires et multiples contradictions », il gêne : le film est refusé par le Ministère de l'instruction publique, commanditaire du projet. Après une poignée de projections en Belgique et dans plusieurs festivals internationaux, le film sombre rapidement dans l'oubli.

 

 

 

 

La carrière cinématographique de Meyer se referme, à peine ouverte. Pour rembourser son film, il entre à la R.T.B.

 

Militance à la télévision

 

 Il y poursuit dans un premier temps ses enquêtes sociales, d'abord sur la question de la fermeture des charbonnages puis sur celle des usines de la sidérurgie. Entre les deux, Meyer réalise plusieurs films, en particulier une série d'émissions sur le thème de l'immigration : Les travailleurs étrangers (1964-1966). Henri Mordant, qui l'accompagne sur ces deux projets en tant que journaliste, lui laisse entière liberté en dépit des difficultés. En Espagne, l'équipe est arrêtée puis relâchée et plusieurs des intervenants du film seront battus ou incarcérés par la suite. Ouvertement anti-franquiste, la série va déplaire à bien des gens. La presse de droite se déchaîne, la hiérarchie de Meyer le tance.

 

Paul Meyer - Les travailleurs étrangers

 

C'est l'époque de Meyer le maudit : ses films sont censurés ou ne sont pas diffusés, ceux qui passent sur le petit écran sont invariablement sources de polémiques et de réprimandes. Meyer, qui travaille à la pièce, doit souvent attendre plusieurs mois pour obtenir un contrat. Il s'est entretemps séparé de Mieke dans des conditions difficiles. Sa vie prend des allures de voyage au bout de la nuit...

 

Meyer quitte Bruxelles pour Liège.

 

 

Télé et vie de famille

 

A la R.T.B., qui devient bientôt la R.T.B.F., la militance fait place à l'interrogation. Toujours aussi curieux du monde qui l'entoure, Meyer se consacre de plus en plus à des sujets de réflexion porteurs d'espoir. Une profonde mutation s'opère.

 

 Paul Meyer - tournage tv rtb

 

 

Ainsi de simples reportages télévisés tels que Le camp militaire de Marche-en-Famenne (1971) ou Le temps (1972) prennent-ils la forme de réflexions sur le destin de l'homme et son impermanence. Sur le plateau, parmi les assistants de Meyer, on note la présence d'un cinéaste alors encore inconnu, Thierry Michel.

 

 Paul Meyer - Ca va les Parjanon

 

Dans son téléfilm Ca va, les Parnajon ? (1975), le militant s'interroge sur le sens de l'engagement et sur sa possible évolution par le biais du conflit des générations. Deux ans plus tard, dans L'herbe sous les pieds (1977), il invite à une autre société au travers de l'exemple d'un petit village autogéré, situé dans son Brabant natal. Le film lui-même est le fruit d'un travail collectif dans la lignée des groupes Medvedkine.

 

 

 Paul Meyer - Herbe sous les pieds tournage

 

L'humour est là, pince-sans-rire voire burlesque, à l'image de Meyer et du premier cinéaste qu'il admira, Buster Keaton. L'espoir aussi, que portent en eux les jeunes, les femmes, les enfants. Ainsi s'ensuivent des émissions sur les pédagogies nouvelles, les malentendants ou l'école de sa fille à Tinlot.

 

La période est placée sous le signe d'un réel bonheur, celui d'une nouvelle famille. A l'occasion d'une pièce de théâtre amateur qu'il monte à Flémalle sur le thème de l'immigration (Je suis ton étranger), Meyer rencontre Giuseppina Lorenzi, fille d'immigrés italiens. De cette union naîtra une fille, Claire. Le véritable projet de vie de Meyer devient sa famille, qu'il élargit volontiers aux frères et sœurs de son épouse. Rosy, Walter et Gabriel participeront à ses films... et l'émission Télétourisme, dont Meyer fut un des pionniers, sera l'occasion de joyeuses escapades en famille.

 

Mais en 1985, Meyer est poussé vers la sortie en dépit des protestations de collègues tels que Georges Yu. Il n'a été nommé que sept ans auparavant.

 

 

Non-retour au cinéma

 

Meyer, qui se sent inutile, vit des moments difficiles. Puis il se prend à rêver de tourner à nouveau des films : un documentaire sur l'oeuf, un autre sur les Wallons à New-York... Avec Anne Michotte et quelques amis, il fonde l'asbl Les films de l'Eglantine. L'association organise des projections de films sur l'art avec le concours de jeunes historiens de l'art, parmi lesquels David Houbrechts dont il tentera de produire le premier film.

 

Meyer entame deux films sur l'art qui resteront à l'état d'ébauche (1991-1992) : l'un sur Christian Dotremont et l'autre sur Yvon Vandycke. Déjà s'envole la fleur maigre, qu'il n'a pas fini de rembourser, est redécouvert et connaît une nouvelle vie. Lui-même revit car, à l'approche de l'anniversaire de la catastrophe de Marcinelle, la perspective d'un nouveau film se présente à lui : La mémoire aux alouettes. « Je suis heureux... », confie t-il  en 1995.

 

Mais l'écriture du scénario va s'étaler sur cinq ans (1993-1998), la recherche des  producteurs traîner, le tournage s'enliser... et finalement s'arrêter, faute de financement, alors qu'à peine la moitié des scènes sont tournées. Meyer, inquiet de l'avenir de ses films et de leur militance, songe à faire don de Déjà s'envole la fleur maigre au village de Manopello, en Italie.

 

En 2007, le cigare Toscanelli que Meyer avait toujours aux lèvres s'est éteint. Son dernier film restera inachevé. Mais peu de temps auparavant, il confiait volontiers à ses proches  : « Ich hatte viel spasz » (Je me suis bien amusé) (Bertold Brecht).